lundi 7 décembre 2015

FILLE OU GARÇON? (histoire d'un deuil périnatal)

Tu aurais 5 ans aujourd'hui. Tu jouerais, rirais, ferais des espiègleries et te chicanerais avec tes frères et soeurs... Mais ce n'est pas le cas. Le seul souvenir que j'ai de toi, autre que mes rêves et espoirs, est ton minuscule petit corps dans mes bras.  

Pourtant je le savais. J’ai ressenti au plus profond de mon être que quelque chose n'allait pas. 

Je me souviens encore de cette soirée où tout d'un coup un vent glacial est passé dans mon corps. J'ai ressenti un mal-être et une terrible angoisse m'envahir. Et je me suis mise à pleurer. À pleurer, de façon inexplicable, de façon incontrôlable, avec un sentiment viscéral qu'il y avait de quoi être inquiète à ton sujet. Pourtant, je ne suis pas comme ça! Je ne m'inquiète normalement pas facilement et je suis hyper positive...  

Mais là, je savais...  

Quelques jours plus tard avait lieu mon échographie à 21 semaines et l'inévitable débat sur ma page Facebook : fille ou garçon? Les commentaires se multipliaient et moi j'avais juste le goût d'y ajouter : « Hey... arrêtez! Quelque chose ne va pas... j'ai un mauvais feeling... » Mais je ne l'ai pas fait. À quoi bon? J’aurais eu en réponse une multitude de messages me disant : « Mais voyons! Tu t'en fais pour rien. Tout va bien. » 

Mais moi je savais... je savais que ce n'était pas le cas...  

Dans la salle d'attente, ma vessie bien remplie faisait diversion à mes pensées noires et j'essayais de me rassurer. J'allais bientôt savoir si tu étais un petit « il » ou une petite « elle »! Nous avions prévu aller faire les magasins juste après pour choisir le décor de ta chambre! Je m'en faisais pour rien! Tout allait bien aller... non?  

 Ça y est, mon nom est appelé! Il est temps, ma vessie va exploser! Fille ou garçon, je vais enfin savoir qui tu es!  

La technicienne débute l'échographie et quelque chose cloche. Je le vois bien... Je regarde son visage, puis le petit écran, puis son visage.  

Elle me dit avec un petit sourire qui se veut rassurant:  

— Madame, je vais chercher le docteur et je reviens. 

Je me tourne vers mon mari et lui dit:  

— Mathieu, prépare-toi à une mauvaise nouvelle... je le sais, je le sentais... Mais je ne t'en ai pas parlé, désolée.  

Ça ne prend que quelques secondes à la docteure pour me dire la dernière chose que de futurs parents pleins d'espoirs veulent entendre:  

— Son coeur ne bat plus...  

— QUOI? Mais non! J'ai vu mon médecin la semaine dernière et tout était beau. Je l'ai entendu! 

Je m'attendais à une mauvaise nouvelle, mais pas à ÇA! On efface, d'accord? Les dernières minutes n'ont pas eu lieu...  

FILLE OU GARÇON? S’il vous plait, c’est tout ce que je veux savoir! C'est à ça qu'elle sert cette échographie, non? S’il vous plait... répondez-moi! 

— Je suis tellement désolée... Son coeur ne bat plus. Nous allons faire une amniocentèse pour avoir des réponses. 

— Une amnio? Non, je ne veux pas! Tout d'un coup vous vous êtes trompé? C'est dangereux une amnio! Je peux perdre mon bébé!  

— Madame, je suis désolée. Son coeur a cessé de battre.  

J'ai la vessie qui va exploser, je dois aller à la salle de bain. Impossible de marcher, mes jambes ne me soutiennent plus. Mon mari essaie de m'aider à m'y rendre et je vois son visage. Il tente de rester fort pour moi, car il voit bien que je m'effondre. C'est son bébé à lui aussi qui est mort...  

Je prends donc un moment pour rassembler mes idées et on procède à l'amnio. C'est irréel...  

— Madame, ils vous attendent à la maternité... »  

Et je repasse devant la salle d'attente, avec tous ces futurs parents qui rigolent et font des paris sur le sexe de leur bébé...   

S’ils savaient... 

Je réalise alors... c'est bien trop vrai, tu dois sortir! Je porte la mort dans mon corps! Cette idée m'est tout d'un coup intolérable!  

— S’il vous plait, il faut le sortir de là! Faites-moi une césarienne, ouvrez-moi le ventre tout de suite, il faut sortir la mort de moi... s’il vous plait!  

— On ne peut pas faire de césarienne, c'est beaucoup trop risqué. Vous devez accoucher.  

Accoucher? Pas question! Un accouchement c'est beau, c'est magique, c'est rempli de vie... Je ne veux pas accoucher! Ce n'est pas vrai, ce n'est pas réel! Faites juste le sortir s’il vous plait. 

Mais je dois m'y résoudre... je venais ce matin afin de savoir si tu étais un petit coco ou une petite puce. Nous devions aller magasiner pour toi après... Mais je t'aurai dans mes bras dans quelques heures...  

On m'installe dans une chambre et commence la procédure. Les heures passent, je commence à sentir les contractions. NON! Je ne veux pas! Je ne veux rien sentir, je ne suis pas prête! Accoucher d'un bébé mort... C'est impossible! Ça ne m'arrive pas vraiment! Je veux une péri, je ne veux pas sentir l'accouchement. C'est heureux un accouchement... Je ne veux pas que ces sensations soient associées à un malheur. Je suis assise sur le lit, alors que l'anesthésiste se prépare.  

Nous n'avons plus le temps. Je te sens, tu es là, tu te prépares à sortir...  

STOP! Je ne veux plus, tu dois rester en dedans! Tout d'un coup qu’ils se sont trompés? Tout d'un coup que ton petit coeur bat encore? Reste, reste en dedans! 

— Madame, il faut pousser là! 

— Pas question! Je suis venue ce matin pour une échographie, pas pour accoucher! Il doit rester dans mon ventre ce bébé! 

— S'il vous plait, il faut vraiment pousser! 

Finalement, nul besoin... tu glisses hors de moi.  

C'est fait. Tout est fini.  

Ils te préparent et t'amènent à moi afin que je puisse te prendre dans mes bras. Je te berce doucement et nous te disons combien nous t'aimons. 

— Svp, pouvez-vous me dire maintenant? C'est une fille ou un garçon?  

— Vous avez eu un garçon madame. 

Alors je pense à ta chambre. Elle aurait dû être décorée avec de petits singes pirates! C'est là que nous devions être présentement... en train de faire plein d'achats pour toi... Pas ici... Pas avec toi dans mes bras... Pas en train de te faire mes adieux. 

Les semaines, les mois et maintenant les années ont passé... J'aurais voulu que tout reste figé, mais on ne peut pas arrêter le temps. On n'oublie pas. Je pense à toi chaque jour en fait. Mais la vie continue et le bonheur tranquillement revient. Tu as une petite soeur maintenant, et un petit frère! T'ont-ils remplacé? Non, jamais! Mais avec eux le soleil, la vie et l'espoir sont revenus.  

Le plus ironique dans tout ça? En recevant le rapport d'autopsie quelques semaines plus tard, il y était mentionné que tu es une petite fille! Les organes génitaux ne sont pas bien distincts à l'oeil à ce stade... Fille ou garçon? Finalement quelle importance?  

Je t'aime mon petit ange! J'aurais tellement aimé veiller sur toi Maëva! Mais c'est toi qui veille sur nous... xx 
 



Voici quelques unes des ressources disponibles si vous vivez un deuil périnatal ou connaissez quelqu'un qui passe par cette dure épreuve. Mentionnons également qu'il n'y a pas de délai établi à un deuil. Permettez-vous de vivre votre peine, vous en avez le droit! Pour l'entourage, soyez l'oreille attentive à qui les gens endeuillés peuvent parler, même des semaines, des mois et des années plus tard. Votre écoute est le plus beau cadeau que vous pouvez leur offrir.

http://www.parentsorphelins.org/
https://acclesperseides.wix.com/perseides
http://www.premaquebec.ca/service_deuil.html


Écrit par: Marie-Chantale


Maman de 6 merveilleux enfants (et d'un petit ange) et accompagnante à la naissance, je suis également instructrice en massage pour bébé, monitrice de portage et j'ai débuté mes études préalables au BAC sage-femme que j'aimerais faire dans quelques années. Toute ma vie tourne ainsi autour de ma passion:la périnatalité! C'est donc à la fois de mon expérience professionnelle, mais aussi et surtout de mon expérience personnelle que seront teintés mes articles, qui je l'espère, sauront faire transparaître tout l'amour que j'ai pour le sujet! Car être parent n'est-il pas la plus belle et la plus grande aventure d'une vie?

4 commentaires:

  1. J'ai aussi vécu le deuil périnatale, ma petite Leïla née à 22 semaine dans une chambre d'hôpital triste.... Les circonstances sont différente, j'ai eu la chance de l'avoir vivante pendant 1 heure, et elle est parti rejoindre les anges par la suite . Le deuil périnatale est trop tabou pour beaucoup trop de personnes... Trop de phrases inadéquate nous sont dites par nos proches... Si vous ne savez pas quoi dire, un Calin ou une oreille attentive sont apprécier... Ne nous dites pas que vous ne seriez pas capable de vivre ca, vous n'auriez pas le choix... Merci pour ton témoignage et tous ensemble brisons le tabou

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  2. Awwe gros calin Marie-Chantale. Que dire de plus..

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  3. La sœur de ma mère à vécu deux deuils périnataux dans la vingtaine. Aujourd'hui elle a 76 ans et en parle encore comme si c'était hier. Je ne crois pas qu'elle a eu le support qu'elle aurait dû avoir. Il faut vraiment en parler et surtout aller chercher du support. Bon courage à vous chers parents qui vivez cette épreuve.

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  4. Super beau texte! Moi aussi tous a mal tourné à l'écho de 20 semaines, trois ans plus tard je donnais naissance à notre petit trésor Maëva!

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